– Messieurs, je vous ai réunis en urgence cette nuit, car l’heure est grave. Nous avons découvert un complot au palais. Vous constaterez que dans ce conseil il y a une place vide. Nous allons vous expliquer cette affaire, mais toutefois je vous mets en garde : toute trahison sera sévèrement punie. Il s’agit d’un secret d’Etat.
Le Prince reconnaissait la Salle du Conseil. Les meubles avaient été changés. L’ambiance était plus sévère. Le mobilier moderne contrastait avec les peintures et les ors des plafonds. Il faisait le tour des hommes qui étaient assis. Le Grand Intendant, Timothée Noirod, avait une place stratégique, les autres lui étaient inconnus sauf un. C’était le jeune homme qu’il avait vu malade à l’infirmerie de secours du village enterré, où il avait été recueilli par Richard. Qu’avait-il bien pu se passer ? Dans quel temps était-il ?
– Monsieur
le Premier Ministre, reprit l’homme qui avait déjà parlé, vous
avez la parole.
– Merci,
Monsieur le Président.
Ça alors ! pensa le Prince, le Grand Intendant était devenu Ministre, il y avait un Président ! Mais alors ? Il n’y avait plus de Royaume ? Ils avaient fait un coup d’Etat !
Timothée
reprit :
– Monsieur
le Président, Mesdames et Messieurs les Ministres, nous avons eu la
preuve que le Professeur Richard Nimbus, notre ministre de la
recherche, a désobéi aux règles de sécurité. En effet, avec son
équipe, il a effectué des recherches interdites dans un laboratoire
que nous n’avons pas pu localiser. Mais nous avons aujourd’hui la
preuve qu’ils ont mis au point une machine à énergie autonome
qui, si elle était fabriquée, ruinerait notre pays.
– Mes
chers amis, reprit le Président, nous ne pouvons tolérer cette
trahison, il va donc être démis de ses fonctions et chassé de la
ville. Si nous trouvons ce laboratoire il sera rasé purement et
simplement, les appareils détruits et l’équipe emprisonnée.
– Monsieur
le Président, demanda le jeune Ministre de l’Équilibre Social, ne
craignez vous pas le scandale ? Ils sont les seuls du
gouvernement royal, à part vous Monsieur le Premier Ministre, à
être restés en place : ils avaient la confiance du peuple…
– Voyons
Franz, on ne va pas le chasser sur ce motif ! Il sera jeté en
prison dès demain. Puis il sera expatrié dans la zone Z avec cette
nourrice de malheur ! N’oubliez pas qu’elle a disparu avec
le Prince. Si cela se trouve, ils sont tous ensemble…
– Monsieur
le Président, dit une voix du bout de la table ovale, faut-il en
venir à ces extrêmes ? La zone Z est mortelle !
– Ils
n’auront que ce qu’ils méritent, mais on ne pourra pas nous
reprocher de les avoir tués. Évidemment avec aussi peu de défenses
immunitaires, au point où nous en sommes arrivés, on ne résiste
que très peu de temps là-bas !
Le Prince pleurait en silence.
– Ne peut-on lui parler ? En tant que Ministre de l’Écologie, j’aimerais voir cette machine, sait-on jamais ?
Le jeune homme en question avait donc le portefeuille de l’écologie…
– Monsieur
le Ministre de l’Écologie, votre proposition n’est pas la
bienvenue. Restez-en là. Et n’essayez pas d’enfreindre les
règles vous aussi.
Le
Ministre de l’Écologie avait l’air contrarié. Le premier
ministre annonça la fin de la séance et ils quittèrent la salle.
– Alors
dit le Prince, je n’ai rien vu de particulier ? Il y a
pourtant deux personnes que je connais et l’on parle de mes amis…
– Attends,
on va aller assister à la séance de demain, lui dit TanTaka.
Subitement,
ils se retrouvaient dans la galerie menant à la salle du Conseil. Le
Ministre de l’Écologie était en conciliabule avec une jeune
femme.
– Je
ne vais rien pouvoir faire, pourtant c’est intéressant. Richard
est un grand savant, il a sûrement inventé quelque chose de
révolutionnaire qu’il faudrait que chacun possède. Cependant le
Président et l’Intendant détiennent un grand pourcentage des
actions de l’énergie nucléaire, tu penses bien…
– Chut !
Voilà quelqu’un.
– Effectue
des recherches mais soit vigilante, Mina, c’est dangereux. Tu peux
avoir confiance en Franz, il ne nous trahira pas.
La
jeune femme s’effaça derrière une colonne, puis fila par les
côtés de la galerie. D’autres
ministres arrivaient, précédés d’un huissier qui ouvrit les
portes. Chacun s’assit puis le Président et le Premier Ministre
furent annoncés. L’huissier
annonça l’ouverture de séance : "En
ce mercredi 25 Juin 2025, le conseil des ministres tient séance". Tous
se levèrent, le Président les fit se rasseoir et prit la parole
immédiatement.
– La
situation est dramatique. Le Professeur Richard Nimbus a visiblement
pris la fuite cette nuit. Nous n’avons pas pu l’arrêter, et il a
dû être prévenu car il avait même fait place nette dans sa
maison. Nous n’avons rien trouvé. Quelqu’un a-t-il une
information ?
– Est-ce
vraiment si grave, demanda le Ministre de l’Écologie, quels sont
les risques ?
– J’ai
fait faire une étude par un expert sur le principe utilisé par son
invention. Vous vous rappelez les scandales à propos des ondes
utilisées par les anciens téléphones ? Eh bien cette machine
fait bien pire, elle brasse toutes les ondes de l’environnement.
Personne n’échappera aux troubles de santé. C’est pourquoi elle
est prohibée purement et simplement. Richard le savait, j’avais
été clair : il lui était interdit de la construire. Or nous
savons qu’elle existe. Par ailleurs, il aurait mis au point une
machine à voyager dans le temps, ce qui expliquerait la disparition
du Prince. Nous n’avons pas trouvé ces machines…Pourtant la
police s’active !...
Il
y eut un silence. Comme on dit sur terre : un ange passe.
TanKaTa
souffla au Prince :
– Tu
vas voir, je suis en fait l’étoile du Président, bien entendu il
ne connaît pas mon existence…Mais je vais provoquer chez lui un
débat intérieur, je vais lui souffler des actions et il va réagir,
n’en perds pas une miette surtout.
– Et
puis, ajouta Diféra, regarde bien Franz, je suis son étoile, je
vais m’amuser aussi.
Diféra
souffla à Franz :
– Une
machine comme ça ferait du bien à tout le monde… La vie est si
dure, personne ne paierait plus l’énergie…
Franz
écouta cette voix intérieure et dit :
– Au
niveau social, cette machine pourrait permettre, juste en usage
domestique, des économies considérables…
– Mais
qu’est-ce que vous racontez mon jeune ami, vous n’y êtes pas, je
vous ai dit que c’était dangereux ! Abstenez-vous de ce genre
de réflexion et prenez en compte cette étude extrêmement sérieuse
qui a été faite !
TanKaTa
souffla au Président :
– Tu
t’es bien moqué d’eux avec cette étude biaisée…Mais
méfie-toi, il faut les tenir, sinon le scandale ne sera pas sur
Richard mais sur toi. Et puis regarde le Ministre de l’Écologie
comme il a l’air faux, il a peut-être déjà commencé des
investigations…
Le
Président reprit :
– Je
vois que vous réfléchissez…Quoi qu’il en soit il y a eu des
fuites ici même ! Je vais diligenter une enquête ne vous en
déplaise. Le Premier Ministre et moi-même nous allons organiser une
vente de 20 % de nos parts sur l’énergie afin que vous
puissiez en bénéficier, cela récompensera ceux qui nous auront
aidés. La séance est levée.
Les deux étoiles riaient ! Le Prince les regardait stupéfait. C’était ainsi ? La petite voix c’était donc la voix d’une étoile, celle de chacun ? À la naissance on disait il est né sous une bonne étoile…ou sous une mauvaise étoile. C’était donc vrai. Les étoiles menaient le bal. L’homme n’était-il qu’une marionnette ? Non, c’était impossible, le Président venait de prendre des décisions, seul. Il y avait une part de choix, de décision. En somme, comme au théâtre chacun de nous avait son souffleur. Bon ou mauvais. Là était le problème.
Le
Président interpella le Ministre de l’Intérieur et lui demanda de
le suivre. Ils se retirèrent par la porte du fond. Le Prince et les
étoiles les suivirent.
– Alors,
où en êtes-vous ?
– Il
n’y a pas trace… Nous avons les photos satellites, il n’y a
aucun mouvement repérable, rien.
– C’est
tout de même incroyable ! Il serait parti à pied ? Sans
rien ? Mais sa maison est vide…
– Nous
ne comprenons pas. D’autant qu’il avait des visites chez lui,
comme toujours. Rien n’avait changé.
– Vous
avez des renseignements sur ces visiteurs ?
– Bien
sûr. Mais rien de probant.
– Et
ses domestiques ?
– Disparus.
– C’est
trop fort ! Sommes-nous sûrs qu’il a déménagé la nuit
dernière ?
– Absolument
pas, je suis formel, il n’a pas déménagé la nuit dernière, ni
aucune nuit précédente.
– Quoi ?
Mais alors…
– Nous
avons examiné les bandes de surveillance satellite depuis trois
mois : aucun camion de déménagement n’est venu, ni de jour,
ni de nuit.
– Et
sa résidence d’été ?
– Vide…
– Nous
avons fouillé de fond en comble les deux demeures ! Rien…
– Je
reviens à ses relations : qui voyait-il dans nos ministres ?
– Le
Premier Ministre.
– Vous
êtes sûr ?
– C’est
son ami de longue date.
– Je
ne peux pas croire qu’il m’ait trahi. Il a trop d’intérêts à
être Premier Ministre !
– Si
Richard a voulu le protéger il ne lui aura rien dit de toutes les
façons. Il aimait bien le Ministre de l’Écologie.
– Ah !
Celui-là ! Je pensais bien. Il faut l’interroger… Non, le
faire suivre, c’est ça, filez-le. Et lui, quels amis a-t-il ?
– Le
Ministre de l’Équilibre Social est son ami.
– Je
ne suis pas étonné… C’est lui qui me l’a indiqué quand
j’effectuais les consultations pour constituer le gouvernement.
J’aurais dû me méfier, mon intuition me disait que l’on ne
régnait bien que dans la division, j’aurais dû l’écouter !
Surveillez-le, lui aussi.
– Viens,
dit TanTaKa, on va aller voir ce que font les autres.
Ils
furent transportés dans un petit café sordide. Les deux ministres
soupçonnés, Cédric et Franz, étaient à peine reconnaissables.
Vêtus de façon très ordinaire, ils avaient en plus enfoncé des
casquettes sur leur tête. Mina avait aussi mis des vêtements
insignifiants.
Diféra
sourit : « Ça va être à moi de jouer ! »
– Alors
dit Mina, où en êtes-vous ?
– Je
suis soupçonné, répondit le Ministre de l’Écologie. C’est
écœurant car je ne sais absolument rien.
– C’est
vrai ? Tu ne sais rien ? Mais, Richard n’était-il pas
ton ami ?
– Justement,
je crois qu’il nous protégeait… Nous sommes sous une dictature,
n’oublions pas… Mais pourquoi ai-je accepté ce poste ? Mon
intuition me disait que c’était dangereux, mais la raison disait
que cela ne se refuse pas ! Tu parles d’une promotion :
il faut se cacher pour se parler !
Diféra souffla à Franz : Il faut faire des recherches mais surtout que ce soit ni toi, ni Cédric.
– Nous
ne sommes pas tombés avec la dernière rosée, aussi je suggère que
Mina fasse les recherches. Nous, nous sommes trop connus.
– Oui,
répondit Mina, c’est la seule solution.
– Fais
très attention Mina, lui dit Cédric, ils vont forcément te
trouver, tu seras en danger dès que tu auras commencé.
– Mais,
j’ai commencé, et visiblement sans être inquiétée…
– Ça
ne va pas durer…je ne sais pas si c’est une bonne idée que tu as
eu là, Franz…
– Mais,
coupa Mina, c’est toi qui me l’avais demandé !
– J’ai
changé d’avis, c’est trop dangereux.
– Écoute,
dit Franz, il n’y a pas d’autre solution. Choisissons plutôt
notre mode de correspondance… Il faut qu’il soit archaïque et
codé, sinon il sera découvert.
– Oui,
cela paraît sage, as-tu une idée Mina ?
– Puisque
je travaille au Grandes Galeries de la Mode, je pourrais disséminer
les mots de ma réponse dans les poches de certains vêtements à
vendre au rayon homme. Le vendeur est vraiment un ami. Je
m’arrangerais pour que vous ayez dans votre boîte aux lettres
personnelle une invitation à une vente privée. Comme je connais la
fille du marketing, je pourrais sans peine glisser un faux courrier.
Écoutez…
Elle
se baissa et leur susurra quelque chose que le Prince n’entendit
pas.
– Avez-vous
entendu ? demanda le Prince aux étoiles.
– Bien
sûr, mais on ne va pas te le dire, il faut garder l’effet de
surprise… ! Partons. Il y a d’autres choses à voir.
Les
sbires du Ministre de l’Intérieur virent rentrer les deux
ministres habillés avec ces vêtements à peine propres et
comprirent qu’ils s’étaient fait doubler. Il leur fallait donc
redoubler de vigilance. Mina continuait son travail tout en se
sachant surveillée. Elle se tint à carreau pendant plusieurs jours
pour ne pas donner l’éveil. Elle rencontra ses amies habituelles.
Elle emmena sa nièce à un anniversaire. Rien de spécial. Les
policiers relâchèrent leur attention.
Mina
la maligne, avait en fait confié son enquête à ses amies. Le
goûter d’enfants avait été prévu chez l’une d’elle. Mina y
resta pour aider. Une fois les enfants arrivés, une maman commença
l’animation. Mina emmena deux d’entre elles, les plus dignes de
confiance, pour parler dans le grenier, afin d’être certaine
qu’elles ne seraient pas écoutées.
– Voilà.
Richard qui est un ami de Cédric, est un grand savant du royaume. Or
il a disparu. Nous le savons en danger. La police le traque…
– Mais
pourquoi ?
– Il
a inventé une machine géniale, elle aurait emmené le petit Prince
dans un autre temps juste avant la révolution.
– Le
Prince serait vivant ? Mais alors, on pourrait sortir de la
dictature ?
– À
condition de retrouver Richard et d’empêcher la police de le
capturer. Et puis qu’il sache comment ramener le Prince.
– Mais
cela fait déjà plusieurs années, le Prince est presque un homme
maintenant, s’il a survécu !
– C’est
une raison supplémentaire pour tout tenter !
Le
Prince protesta :
– Mais
elles se trompent ! Je ne suis pas encore un homme !
– Silence,
lui intima Diféra, nous t’avons emmené dans le futur…
Elles
reprirent :
– Mais
au fait pourquoi nous en parles-tu ? Comment veux-tu qu’on le
retrouve ?
– Vos
maris ont des postes clés, et aucun n’est d’accord avec ce qui
se passe ? Non ?
– Bien
sûr… En somme tu veux qu’on les mette au courant ? Tu veux
qu’ils viennent te voir ?
– Surtout
pas…Nous ne devons même plus nous rencontrer. Il faut dissocier
les actions pour ne pas être repérés. Nous devons réfléchir aux
endroits « invisibles » de la région. Et que nous
imaginions s’il pouvait y avoir des connexions avec la maison de
Richard ! Vos maris ont accès à ces informations, l’un
travaillant sur les réseaux ferroviaires, l’autre aux égouts.
Voilà l’adresse.
Elle
remit à chacune un papier.
– Comment
veux-tu que l’on te joigne si on ne doit plus se parler ?
– Par
le cartable des enfants : ma nièce est en classe avec vos
fils ! C’est simple et sécurisant. Personne n’imaginera
cela. Les enfants le feront de bonne grâce. Nous sommes amies, oui
ou non ?
– Ok,
ça va. Mais ensuite ?
– Ensuite,
je me débrouille. Moins vous en saurez, mieux cela vaudra.
Quelques jours plus tard, Mina alla chez sa sœur comme d’habitude. Sa nièce lui tendit sa trousse de classe. Dans le compartiment arrière, il y avait deux petits papiers collés qu’elle enfouit dans sa poche en embrassant la petite. Une fois rentrée elle les ouvrit : sur chacun, il y avait un tracé. Son idée semblait bonne. On voyait l’emplacement de la maison de Richard. Sur le plan de l’un, passait plus loin à un kilomètre, une ligne de RER enterrée, sur l’autre, juste à côté de la maison, à 500 mètres, le réseau des égouts se dirigeant vers la station d’épuration la plus proche de la ville. La solution devait être là. Se mettant à la place de Richard, avec les moyens dont il disposait et la confiance indéfectible de ceux à qui il rendait d’immenses services, elle aurait fait creuser un souterrain partant de la cave ou du jardin. En direction d’un réseau désaffecté. Par petit mot interposé elle posa la même question : y avait-il un passage entre les deux réseaux et à quelle hauteur ? Peu de jours après, elle eut les réponses. Des réponses différentes. Il y avait donc bien deux passages, son intuition était bonne, mais un seul était connu de chaque organisme. Pourquoi ? Ça, elle se le demandait bien. Fait exprès ? Usages différents ? Fantaisie des ingénieurs ? Peu importe, Richard avait certainement eu connaissance de ce fait. Pouvaient-ils vérifier ? Oui, ils vérifieraient. Cela prendrait un peu de temps pour ne pas attirer l’attention. Mais trois jours après, elle reçut une lettre par ce canal : la copie d’une vérification technique réalisée par Richard avant la fermeture du tronçon du RER qui menait à Roissy. Mais elle n’y avait pas pensé ! Roissy était désaffecté depuis cinq ans. La monopolisation des sources pétrolières par les pays comme la Chine et la Russie, les prix exorbitants du pétrole dit sableux, avaient terriblement limité l’aviation ! La formidable avancée technologique de l’énergie à oxygène avait été maintenue sous le boisseau par les américains pour s’en servir à des fins militaires et notamment pour le transport de bombes. Et comme le basculement climatique avait commencé, les hivers étaient devenus très rudes causant encore d’autres désagréments. Il y avait alors eu une guerre des maires européens pour savoir quels aéroports on devait garder. Seuls, les aéroports militaires étaient maintenus en France, et contrôlés par l’armée Franco-Russe. Roissy était en cours de démantèlement depuis 2020, les terrains seraient peut-être revendus, mais encore, cela n’était-il pas sûr, car Cédric avait commandé une étude sur la pollution de cet immense territoire. Les résultats de l’étude stipulaient qu’il faudrait au moins deux cents ans pour dépolluer ces terrains et les rendre exploitables. Ils avaient donc été délaissés. Elle était certaine d’avoir trouvé ! Heureusement que Richard n’avait pas participé à cette étude. Cela n’avait pas pu éveiller les soupçons.
Franz et Cédric reçurent une invitation aux ventes très privées masculines des Grandes Galeries de la Mode, le même jour, mais à des heures différentes. Qui dit vente privée, dit fermeture au commun des mortels. Le jour et l’heure dits, ils y allèrent à des heures successives. Ainsi leurs gardes du corps ne se croisèrent pas. Franz qui était très grand, manipula avec beaucoup d’intérêt tous les vêtements à sa taille. Cédric lui s’attacha surtout aux couleurs des costumes qui étaient censés lui aller. Ils repartirent chacun avec en poche trois gros chiffres tracés au dos des étiquettes magasin, et leurs achats.
Le
soir, ils se retrouvèrent à l’apéritif dans leur café miteux.
Comme Mina le leur avait indiqué, sous le timbre RFID qui pilotait
seul chaque lettre et qu’elle avait programmé, se trouvait un
code. Ils le découvrirent en le décollant. Ils échangèrent les
informations :
– J’ai
un problème, dit Cédric à voix basse, pour moi ce chiffre et ce
code ne signifient rien…
– Pareil
pour moi, lui répondit Franz. J’ai 939.
– Moi :
996 ! murmura Cédric.
Ils
échangèrent les enveloppes pour que chacun regarde le code de
l’autre.
– Ça
donne quoi pour toi ? Sous le timbre de ta lettre, le code
était : 8 = A et 1 = H. Pour moi ça peut
faire ROI. Tu penses qu’il serait à Versailles, par exemple ?
– Non.
Ton code complète le mien. Regarde : 1 = B et 8 = A,
moi j’ai 996, les deux 9 sont une même lettre, le S, cela fait
SSY. C’est donc Roissy dont il s’agit.
– Tu
n’as pas dit que la zone était empoisonnée ?
– Oh
que si ! Mais le savait-il ? L’étude d’utilisation des
territoires est sortie il y a trois mois, et je n’en ai fait part
qu’au Président.
– C‘est
un ancien scientifique, il connaît peut être la parade.
– Je
le lui souhaite. Mais…
– Il
va falloir y aller ! Coupa Franz.
– La
zone est fermée et strictement interdite. C’est impossible. Elle
est gardée par l’armée. Et puis diligenter une opération serait
le mettre en danger.
– Même
toi ?
– Surtout
moi. Et puis je n’enverrai pas Mina, c’est beaucoup trop
dangereux, à tous points de vue. Je vais d’ailleurs lui en parler,
dès ce soir.
– Ce
soir il y a le symposium où nous devons faire une apparition…
– Bon,
ce sera demain soir alors…
– Tu
as vu ça, dit TanTaKa ! C’est qu’elle y arriverait presque
la petite Mina, c’est une futée… !
– Remarque,
ajouta Diféra, Franz a quand même tourné casaque en se rapprochant
de Cédric. Je voulais qu’il le pervertisse mais il fait le
contraire.
– Comme
quoi, répartit le Prince, vous ne dirigez pas tout…C’est une
très bonne nouvelle. On me l’avait dit, mais je ne parvenais pas à
le croire.
– Ne
te réjouis pas si vite, reprit Diféra, il va me le payer !
– Tu
vas nous voir à l’œuvre ! Répondit TanTaKa. Tu vas voir, tu
n’en croiras pas tes yeux !
Ils
se retrouvèrent dans le bureau du Président. Le Ministre de
l’Intérieur venait d’arriver.
– Monsieur
le Ministre, j’avais hâte de vous voir. Où en sommes-nous de
cette affaire ?
– J’ai
l’impression que vos ministres vous trahissent, mais je n’ai
aucune preuve…
– Qu’est-ce
qui vous fait dire cela ?
– Plusieurs
signes insignifiants en apparence, une rupture dans leurs habitudes.
– Du
genre ?
– Ils
sont tous les deux allés à une vente privée de vêtements
masculins… Le même jour à une heure d’intervalle. Comme un fait
exprès.
– Les
gardes du corps ?
– Oui,
je les ai interrogés, mais ils étaient restés à la porte… Ils
ne se sont même pas croisés ! Comme un fait exprès ! Du
coup, je suis allé mener une enquête à la direction commerciale du
magasin. Curieusement nos deux ministres avaient bien eu une
invitation. Le problème surtout c’est que leurs noms avaient été
ajoutés à la main en fin de liste des VIP. Et les lettres n’avaient
pas été enregistrées au départ du courrier. Quelqu’un de
l’extérieur les a postées. Elles ne sont d’ailleurs pas notées
au registre des arrivées du courrier des ministères, donc…
– Qui ?
Vous le savez ?
– Peut-être
l’amie du Ministre de l’Écologie, elle est amie de la directrice
marketing du magasin, celle-ci s’en est vantée auprès de sa
secrétaire. Mais bien entendu, rien ne prouve…
– Oh,
c’est clair, vous avez mis le doigt là où il fallait. Que
pouvons- nous faire ?
– Essayer
de la coincer, renforcer encore sa surveillance, mais tous ses
déplacements sont notés, elle est sur écoute, ses mails sont
interceptés. Elle semble irréprochable.
TanTaKa
souffla au Président : Ce
sont les pires, et en plus c’est elle !
Le
Président le regarda avec intensité.
– Bon,
ce sont les pires, c’en est fini pour elle !
– Mais,
Président, nous n’avons aucune preuve !
– Je
ne vous ai pas dit de l’arrêter mais de la supprimer !
– Pas
ça ! s’écria le Prince.
– Laisse
faire ! Je le lui ai soufflé : c’est ce que je veux !
asséna l’étoile noire.
Le Président poursuivait :
– Un
accident est si vite arrivé. Si nous ne menaçons pas les ministres
de cette façon, ils ne s’arrêteront pas. Ils vont mettre le
gouvernement en danger. C’est un ordre, et dites-vous bien que
votre place en dépend.
– À
vos ordres !
Il
quitta la pièce.
– Et
bien voilà qui est rondement mené, souffla TanTaKa.
– J’espère
bien qu’il ne le fera pas, murmura le Prince.
– Mais
si, voyons ! Sa carrière est en jeu, et puis de toutes les
façons il le fera faire par quelqu’un d’autre qui sera
grassement payé. Ce n’est pas un problème. Lui ensuite, il s’en
lavera les mains ! ajouta Diféra.
Mina
se dépêchait, il fallait qu’elle passe à la banque à
l’ouverture. Justement c’était en face. Il était grand temps :
juste deux minutes d’avance. Il était neuf heures moins dix-sept.
Elle appuya sur le contact de son mobile et lui commanda d’activer
la communication avec Cédric. Il pourrait certainement lui répondre
avant d’entrer dans la salle du Conseil.
– C’est
moi ! Je suis devant la banque.
– Ah,
je n’ai que quelques minutes…
Subitement
Cédric entendit un cri :
– Nooonn !
Ça y est…
– Ça
y est quoi… ?
Il
ne put terminer sa phrase, il entendit un choc…puis des cris.
Une dame appelait au secours.
Il comprit qu’il était arrivé quelque chose. Immédiatement il appela le Samu, puis quitta brusquement le palais pour filer sur les lieux avec son chauffeur et son garde du corps. Ce n’était pas loin, ils arrivèrent en même temps que l’ambulance des pompiers. Mina gisait au milieu de la route dans une marre de sang. Il se précipita :
– Mina,
Mina, ouvre les yeux, dis-moi que tu es là, fais un signe, je t’en
supplie…
Mina
bougea une paupière. Les secouristes l’écartèrent et la
chargèrent délicatement dans l’ambulance. Il avisa une dame à sa
fenêtre du rez-de-chaussée qui avait l’air complètement
secouée :
– Vous
avez vu, n’est-ce pas ? Qu’avez-vous vu ?
– Une
voiture s’est dirigée sur elle à très grande vitesse, on aurait
dit que c’était fait exprès…
– Vous
avez vu le conducteur ?
– Je
n’ai pas eu le temps, j’étais horrifiée… Elle tournait le dos
à la route car elle téléphonait, puis elle s’est retournée et
il l’a ….
– La
voiture ?
– Partie…
Une camionnette est partie en même temps à très grande allure…
L’ambulance
allait démarrer, il monta à l’arrière malgré les protestations
du personnel soignant. Ils s’activaient autour d’elle pendant que
toutes sirènes hurlantes, le camion filait vers l’hôpital à
l’autre bout de la ville, brûlant tous les feux rouges.
Sous
l’effet de l’oxygène Mina ouvrit les yeux. Il s’approcha.
– Acquiesce
avec les yeux pour me répondre, Mamina, tu as vu le conducteur ?
Les
paupières se baissèrent.
– Tu
le connaissais ?
Le
regard resta fixe.
– Était-il
masqué ?
Les
paupières se baissèrent à nouveau. Puis ne purent se relever.
L’infirmier
intervint :
– Monsieur
le Ministre laissez-la, il y a une forte hémorragie interne, nous
risquons de la perdre.
Cédric
se recula, les soignants regardaient le monitoring qui indiquait une
baisse cardiaque. Subitement, il y eut un afflux de sang vers les
lèvres. Le petit graphique vert se tortillait, puis, après quelques
sursauts, s’aplatit, et s’arrêta. L’infirmier se tourna vers
lui :
– Nous
sommes désolés.
Puis
il frappa à la vitre :
– À
l’Institut Médico-légal ! Nous ne pouvons plus rien pour elle.
– Attendez,
vous êtes fou ! Mina, réveille-toi….
Il
s’écroula.
Mina
trouvait que cet espace était bien étroit ! Et puis, que
faisaient ces gens autour de Cédric ? Pourquoi sanglotait-il ?
– Cédric ?
Mais que t’arrive-t-il ? Où t’emmènent-ils ? Pourquoi
t’ont-ils pris ? Qui est sous le drap ? C’est Franz ?
Cédric, tu me réponds ?
Le
Conseil des Ministres allait commencer. Il était neuf heures. Au
moment de leur dire de s’asseoir, le Président, Vladimir Loutkine
remarqua l’absence du Ministre de l’Écologie. Il prit un ton
badin :
– Tiens,
quelqu’un a-t-il des nouvelles de notre écologiste préféré ?
D’habitude, il est à l’heure !
– Pardonnez-lui,
Monsieur le Président, je crois qu’il ne sera pas là. Sa compagne
vient d’avoir à l’instant un accident sur la voie publique. J’ai
eu un appel juste avant d’entrer dans la salle. Il vient
d’accompagner l’ambulance à l’hôpital.
– Franz,
tenez nous au courant, et donnez l’ordre à l’hôpital qu’elle
soit bien soignée. Après tout cela fait aussi partie de vos
attributions.
– Merci,
Monsieur le Président, permettez, je vais appeler le directeur de
l’hôpital, de suite. Je reviens.
Quelques
minutes plus tard, Franz revint l’air sombre.
– Elle
est décédée pendant le transport… Ils se sont détournés sur la
morgue.
– Comment
cela ? Décédée ? Ils n’ont même pas essayé de la
sauver ?
– Il
n’y avait plus rien à faire… Selon eux.
– Monsieur
le Ministre de l’Intérieur, vous me ferez un rapport sur les
circonstances de cet accident. Il faut punir le coupable.
– Si
vous me le permettez, Monsieur le Président, j’aimerais aller
réconforter mon ami…
– Bien
entendu Franz, bien entendu, allez-y et transmettez-lui mes plus
sincères condoléances.
– Je
vais y aller aussi, Monsieur le Président, dit le Ministre de
l’Intérieur…Il faut que j’éclaircisse cette affaire au plus
vite.
Le
véhicule était arrivé. Ils descendirent le corps, et le rentrèrent
à l’Institut Médico-légal. Cédric suivit, hagard. Murs
blancs, éclairages blafards et instruments métalliques rutilants,
Mina regardait autour d’elle. Un étonnant décor d’un autre âge,
elle commença à paniquer :
– Cédric ?
S’il te plaît, parle…
Cédric
s’approcha du médecin :
– Je
veux la voir encore…
Le
médecin écarta le drap. Le ministre lui caressa la joue en pleurant
silencieusement.
– Mais ?
C’est moi ? Cédric ? C’est moi, n’est-ce pas ?
Ils m’ont eue ? Je suis morte ? Mais tu ne m’entends
visiblement pas ! Tu ne me vois pas non plus ? Tu ne vois
que mon corps…Mais je l’ai quitté … Je vole… Je peux aller
où je veux ! Ne pleure pas…
Mais
personne n’entendait.
– Monsieur
le Ministre, vous devriez rentrer, nous avons l’autopsie à faire…
– Non !
Pas ça… Ça ne sert à rien… Supplia Cédric.
– Pour
l’enquête c’est obligatoire, voyons. Allez, venez…
Franz
arrivait. Il prit son ami dans ses bras.
– On
trouvera les coupables…
– C’est
un crime : le chauffard était masqué ! Ils l’ont
assassinée… Je savais que c’était dangereux !
Le
Prince se tourna vers Diféra :
– Est-il
vrai qu’elle peut aller où elle veut ?
– Oui,
enfin dans les limites terrestres…
– Je
ne comprends pas, vous aviez bien dit qu’en mourant nous
retrouvions notre partie invisible, vous aviez même dit qu’il
s’agissait d’une étoile ! Je ne comprends pas…
– Mais
on ne dirait pas que tu connais la planète bleue !
– Son
étoile est coincée là-haut ?
– Ah !
Tu te réveilles !
– Mais
alors que deviennent-ils ?
– Ils
errent sur terre. Simplement. Et d’abord, qu’est-ce que ça peut
faire ?
– Mais
comment faire pour que cela s’arrange ?
Les
deux étoiles hurlèrent de rire.
– La
Terre te fait tout oublier… Pourtant, c’était bien ton boulot ?
Le
Prince devint furieux. Il perdait son temps ici.
– Remmenez-moi
immédiatement sur la planète bleue ! Je vous l’ordonne !
– Taratata !
Ça ne marche pas comme cela. Tu avais accepté. Donc, c’est nous
qui décidons. D’ailleurs nous retournons au palais, c’est
tellement plaisant de jouer à ce jeu…
– Allez-y
toutes seules, je reste !
– Cela
te sert à quoi ? Oh ! Et puis si tu fais la tête reste
là, tu ne vas pas tarder à supplier que l’on te fasse venir avec
nous.
Elles
disparurent dans un rire sardonique.
L’enfant
se mit à réfléchir. S’il leur faussait compagnie…arriverait-il
seul à retourner là-haut ? Mais au fait, puisqu’il voyait
Mina, qu’il l’entendait, l’inverse était peut être vrai ?
Il
se concentra sur son prénom et se retrouva auprès d’elle. Il
était stupéfait. Les étoiles lui avaient bel et bien donné les
bonnes explications. Il fallait juste penser à mettre en pratique.
En somme, c’était simple.
Elle
avait l’air perdue, dans la cour de l’institut.
– Bonjour
Mina.
– Qui
me parle ? Ah, mais je vous vois. Mais…vous êtes l’image du
Prince-enfant ?
– Pas
une image, je suis le Prince…
– Mais
on disait que Richard vous avait fait partir dans un autre temps ?
– Oui,
c’est vrai…
– Et
bien c’était raté ! Vous êtes comme moi, ici, à vous
balader sans que personne ne vous voie ni vous entende ? Sans
que vous ne puissiez rien toucher ?
– Pour
l’instant seulement.
– Pour
l’instant ? Vous savez faire évoluer cette situation ?
– J’ai
été envoyé sur une planète pour trouver comment sauver la Terre,
mais je n’ai pas fini mon travail. Je dois y retourner. Mais je ne
sais pas comment.
– Comme
vous êtes venu, sûrement !
– Je
ne crois pas. J’ai conclu un marché qu’il n’aurait pas fallu
accepter, je suis un peu pris en otage. Je crois qu’il faut que je
me dépêche de trouver la solution. Vous parliez de Richard ?
– Oui,
mais justement j’avais pour mission de le chercher…
– Je
sais.
– Comment
ça ?
– Lorsque
nous sommes désincarnés, nous voyons ce que nous ne verrions pas en
temps normal.
– Vous
savez alors ce qu’ils ont fait.
– Oui,
mais cela n’a plus aucune importance. Il faut regarder devant,
jamais derrière soi. J’ai une idée. Mina, je vous ai retrouvée
seulement en me concentrant sur votre prénom et votre visage.
Connaissez-vous Richard ?
– Cédric
me l’a montré une fois dans une soirée, il y a deux ans. Mais en
quoi Richard peut-il nous aider s’il ne nous voit pas, ni ne nous
entend ?
– Je
ne sais pas, mais mon intuition me dit d’essayer.
– Qu’avons-nous
à perdre ? Rien…alors…
– Bien.
À quoi ressemble-t-il maintenant ? Car moi, j’ai deux images…
– Deux
images ?
– L’image
lorsque je suis parti en 2017, et celle que j’ai vue dans mes
voyages sidéraux, il s’agissait de 2030.
– Mais
nous sommes en 2025 ! C’est important ? Parce que moi, je
l’ai aperçu en 2023, et je ne l’ai jamais revu.
– Je
ne sais pas, peut-être…probablement même…
– Si
en se concentrant sur son nom, on accolait l’année ?
– Il
faut essayer…prendre le risque…Je me mets à côté de vous et en
même temps concentrons nous sur « Richard Nimbus 2025 ».
Ils
fermèrent les yeux.
– Je
compte : trois, deux, un, zéro…
Ils
furent pris dans une lumière blanche qui les emporta.
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